
CHRISTOPHE DURAND, « L'AUDACE ET L'INNOVATION »

La scène se passe à Francfort en 1997 et elle résume sans doute le parcours de Christophe Durand. Nous sommes un vendredi matin, 7h, dans la salle d'attente de l'aéroport. Le jeune homme de 26 ans, diplômé en pharmacie deux ans plus tôt, est arrivé la veille dans la ville allemande pour monitorer un essai clinique évaluant un anticorps monoclonal utilisé en transplantation rénale pour son employeur, Pasteur Mérieux - IMTIX, et il parcourt distraitement le journal qu'il vient de déplier. Il faut dire que la veille il a retrouvé un de ses meilleurs amis qui fait son service national affecté en entreprise à Francfort et qu'ils ont décidé de fêter l'admission de Christophe à HEC, où il va reprendre ses études. Cerise sur le gâteau : à cette époque, il y a une boîte de nuit dans un des halls de l'aéroport de Francfort, le Dorian Gray ! Après les essais cliniques du jeudi, la fête donc, puis la salle d'attente au petit matin pour rentrer en France.


du monde de la Santé sous
notre microscope
Portrait du Président
de Bristol Myers Squibb
Il tombe alors sur un article à propos de son employeur, et de son alliance signée la veille avec le canadien Connaught, et en baissant le journal, stupeur : Alain Mérieux en personne en provenance d'Amérique du Nord apparaît en face de lui pour prendre le même vol de retour pour Lyon.
Dans le bus qui mène les passagers à l'avion, il aborde l'entrepreneur tout-puissant et respecté. « Je travaille pour vous mais je me dois de vous dire que je viens de démissionner pour reprendre mes études ! », lui lance-t-il. Le jeune homme est convié à s'asseoir à côté de son patron. La discussion, passionnée, va durer tout le vol. En posant le pied à Lyon, Alain Mérieux le tutoie et lui lance : « Dès que tu as fini HEC, tu me rappelles ! »
Marqué par le charisme et la bienveillance de son illustre aîné, Christophe Durand rappellera, en effet, mais pour dire qu'il poursuit sa route ailleurs. C'est le résumé d'un parcours : de l'audace et une idée très précise de son objectif, le tout en écoutant beaucoup et en apprenant de chacun.
Une enfance « entre vignes et montagnes »
Pourtant, Christophe Durand aurait pu ne jamais se tourner vers l'industrie pharmaceutique. Ce lyonnais de naissance a des racines dans le mâconnais, où sa famille produit un beau nectar, le Coteaux des Margots. À 18 ans, il hésite à se lancer avec son oncle dans le travail du vin. Toute son enfance, il l'a passée en plein air, « entre vignes et montagnes », partant pendant les vacances à Arêches-Beaufort ou est née la passion pour le ski « au premier étage d'une étable avec les bêtes qui chauffaient le rez-de-chaussée quand il faisait zéro dans les chambres » explique-t-il de sa voix douce et passionnée à la fois. Aujourd'hui encore, il retourne fêter les conscrits dans le berceau familial, et il suit les concours de la Saint-Vincent où le vin familial est régulièrement distingué. A 18 ans, donc, les ceps de son oncle l'attirent, mais la passion de ses parents le rattrape.
La poursuite de « l'aventure familiale »
Sa mère est professeur de sciences naturelles. Son père enseigne aussi, à la faculté de Lyon. Il dirige des laboratoires de recherche en biologie, finira professeur et président d'Université, et fait partie des pionniers de la PCR. « Aujourd'hui, c'est un dispositif utilisé en routine mais à l'époque il fallait des mois pour décoder un bout de génome ». Voilà qui donne envie de pousser plus loin l'aventure familiale. « Je voulais aussi faire de la recherche, mais sans passer un temps infini à chercher des fonds pour financer mes travaux raison pour laquelle je me suis tourné vers la pharmacie. Je voulais faire de la recherche mais avec des moyens ».
Le voilà donc en pharma à Lyon, avec une particularité : la fac propose un externat, qui lui permet de passer 4 ans en milieu hospitalier. Il court les services cliniques, notamment en infectiologie à la Croix-Rousse au moment où le HIV atteint son pic. Il est marqué à la fois « par le désarroi des cliniciens et les espoirs de la recherche ». Son idée est claire, en tout cas : à l'officine, il préférera l'industrie.
Il arrive donc chez Pasteur Mérieux, une fois son diplôme en poche, dans une division en charge des produits biologiques utilisés en transplantation. « Mais je m'aperçois vite que je n'ai pas les aptitudes pour être un bon ARC (attaché de recherche clinique). Et je rencontre alors les équipes marketing dont le travail m'attire ». Le prérequis à l'époque pour les rejoindre : aller en école de commerce. D'où ce concours réussi à HEC, qui le mènera... chez L'Oréal.
« Des anticorps monoclonaux à la crème solaire »
Un sourire illumine le visage du quinquagénaire aux faux airs de Daniel Craig : « Je suis passé des anticorps monoclonaux à la crème solaire ». A l'époque, le géant des cosmétiques veut « scientifiser » certaines de ses marques, sous la houlette de Lindsay Owen-Jones. Et c'est une « super entreprise - école ». « Quand vous êtes un jeune chef de produit et que vous développez un nouveau concept, c'est vous qui vous retrouvez dans la « salle des confrontations », à Clichy, où vous étiez seul devant le board monde disposé en cercle autour de vous : Aucune place pour la pompe à brouillard, il fallait être précis ! On arrivait avec un camion rempli de produits de la concurrence du monde entier, au cas où Lindsay et son board nous demande de nous comparer à la compétition. J'en ai gardé l'idée qu'il faut toujours responsabiliser et mettre en avant ses équipes y compris les plus jeunes. »
POUR ALLER PLUS LOIN...
- Si vous étiez un animal ?
« Je serais un Maine Coon, un gros félin issu du croisement entre chat sauvage et chat angora. » - Un lieu dans lequel passer le reste de votre vie ?
« Un chalet à l'Écot, en Maurienne, petit village au fin fond de la vallée qui n'est pas raccordé au réseau électrique. » - Si vous ne deviez retenir qu'une qualité chez un humain ?
« L'empathie » - Si un seul de vos rêves pouvait être exaucé ?
« Avoir donné assez confiance à mes enfants pour qu'ils puissent avancer avec sérénité dans la vie. » - Quels sont vos héros dans la vie réelle ?
« Mon grand-père maternel, orphelin, déporté, spolié qui est reparti de zéro et qui est devenu un entrepreneur et un musicien respectés. C'était un esprit libre. » - Quel est pour vous le comble du bonheur ?
« Un dîner simple avec ceux qu'on aime. »
« Lève-toi et marche »
Mais les sirènes de la pharmacie sont plus fortes que les atours de L'Oréal. Retour dans le monde de l'industrie, chez Wyeth cette fois. « Je m'aperçois que j'ai souvent eu la chance d'être au carrefour de grandes ruptures technologiques. « Après les anticorps monoclonaux en transplantation puis en hémostase, c'est le lancement d'Enbrel, un médicament qui a changé la donne notamment dans la polyarthrite rhumatoïde. « Une aventure incroyable », s'enthousiasme Christophe Durand, « je me souviens encore de la conférence de presse que nous avions organisée devant un parterre de journalistes, où nous avons diffusé la vidéo d'une patiente anglaise malheureusement très touchée par la maladie que l'on voyait avoir du mal à s'extraire de son fauteuil roulant et qui 24 heures après sa première injection dansait le rock ».
On a l'impression que le jeune lyonnais s'est un jour affranchi de tout ce qui lui pesait pour se lever et se mettre au service d'une science qui le galvanise encore aujourd'hui. « Je me souviens, quelques années plus tard de retour d'une business review sur un tarmac. J'attends dans l'avion à Rome et je suis à côté d'un passager américain avec qui j'engage la discussion. Il me raconte que dix ans plus tôt, atteint d'une polyarthrite rhumatoïde très invalidante, sa vie personnelle et professionnelle était au ralenti. Et qu'il était aujourd'hui marié, deux enfants et... numéro 2 d'IBM monde ! Tout ça, me dit-il, grâce à un médicament que vous ne connaissez sûrement pas : Enbrel. J'ai éclaté de rire et je lui ai dit qu'il venait sans le savoir de conforter le sens de mon engagement pour ce métier ». En 2004, il rejoint Novartis. « C'était la grande époque de la cardio ». Il se rappelle avec émotion la rencontre avec le président de Novartis dont il est devenu l'assistant, qui lui prodigue de précieux conseils. « Ne t'expatrie pas si ce n'est pas un projet familial...crée la gouvernance qui fait remonter les bons sujets, dans le bon tempo aux bons niveaux de décision...on peut diriger une entreprise sans mettre sa vie personnelle entre parenthèse... ». Autant de principes qu'il s'est attaché à suivre depuis.
« L'aventure des méga fusions »
Cinq ans plus tard, le voilà chez Pfizer au moment de la fusion avec Wyeth, le leader mondial rachetant le numéro 10 pour la coquette somme de 68 milliards de dollars. « C'était incroyable de pouvoir vivre une des premières méga fusions de l'intérieur. » L'expérience lui servira, en 2015 pour le rapprochement Novartis et GSK oncologie, et en 2019, lorsqu'il mènera une autre méga fusion, celle de Bristol Myers Squibb et Celgene, alors au poste de président de l'entreprise rachetée. « Ce fut une période intense, une aventure dans laquelle j'emmenais avec moi des équipes sans pouvoir les rassurer sur leur propre destinée. »
Aujourd'hui à la tête de Bristol Myers Squibb France, c'est un homme épanoui qui regarde ces dernières années dans le rétroviseur. « Nous avons la chance de vivre un moment inédit de l'histoire de notre industrie avec une vague d'innovations sans précédent. Nous guérissons aujourd'hui des cancers ou des maladies infectieuses au pronostic sombre il y a encore quelques années » glisse-t-il en allusion notamment à ses premiers souvenirs à l'hôpital, au temps du Sida.
« Une recette connue qui montre aujourd'hui ses limites »
Aujourd'hui à la tête de la commission en charge de l'accès des patients au progrès thérapeutique il s'implique pour le collectif sur les tous les sujets d'accès à l'innovation et regrette que le dernier projet de loi de financement de la Sécurité Sociale soit venu contredire les ambitions affichées par l'État de faire de l'industrie pharmaceutique une industrie stratégique et souveraine. L'équation d'attirer les investissements, de mettre les innovations rapidement sur le marché au bon prix n'est pas une équation simple à résoudre. « Depuis plus de 10 ans, le budget médicament est celui qui porte l'essentiel des économies, c'est une recette connue qui montre aujourd'hui ses limites » et « les laboratoires innovants comme le nôtre sont trop fortement régulés ». Il reconnait qu'avec ces signaux, son groupe questionne la possibilité d'investir dans des outils industriels dans l'hexagone, et ce malgré les atouts de la France.
Mais il en faudrait davantage pour entamer son ardeur. Il préfère insister sur l'énergie à l'œuvre dans son entreprise. « Nous sommes la première filiale, après les US, en termes d'essais clinique. En 2022, 20.000 patients essentiellement atteins de cancer ont accédé à de nouvelles molécules innovantes via nos essais en France. Nous investissons 100 millions d'euros par an en France dans nos différentes études. C'est aussi une immense fierté d'avoir plus de 100 collaborateurs qui travaillent quotidiennement pour développer nos futures molécules ». La recherche, avec des moyens, c'est l'objectif qu'il s'était fixé.
Il s'enthousiasme par exemple pour les avancées sur les CAR-T, ces récepteurs antigènes chimériques qui avancent à pas de géant : « C'est le traitement individualisé ultime. Des cellules (globules blancs) du patient sont prélevées, congelées, envoyées aux Etats-Unis où elles sont génétiquement modifiées et réinjectées en France. L'efficacité est remarquable chez des patients atteints de certains cancers hématologiques à des stades avancés ». Il vante aussi les avancées des traitements du cancer par immunothérapie dont Bristol Myers Squibb a été le précurseur et les capacités d'innovation de l'entreprise pour aider les patients souffrant de maladies rares et graves. « En tout, nous avons pu lancer dix traitements l'an dernier, aucun d'entre nous au sein de l'organisation n'avions eu le privilège de vivre cela jusqu'alors. ».
« Une dizaine de produits et indications à lancer encore cette année »
La suite pour Bristol Myers Squibb ? « Avec 25% du chiffre d’affaires consacrés à la recherche nous avons 50 molécules en cours d’évaluation, une dizaine de nouveaux produits et indications à lancer encore cette année, c’est autant d’espoir pour les patients français » conclut-il dans un sourire.
Mais il est tard déjà, un œil sur la montre, Christophe Durand vient de nous parler pendant deux heures sans discontinuer, avec cet enthousiasme et ces éclats de rire qui renforcent son évident charisme. Il lui faut rentrer. Comment ? En moto, bien sûr, une grande et ancienne passion qui s’est transformée en collection. « C’est mon seul caprice ». On l’imagine donc monter sur sa sportive pour regagner Pigalle Sud, où il vit depuis 25 ans, avec son épouse et leurs quatre filles. Cinq femmes à la maison ? « Et oui, ça aussi c’est une aventure intéressante », glisse-t-il avec malice avant de nous quitter.
POUR ALLER PLUS LOIN...
- Si vous étiez un animal ?
« Je serais un Maine Coon, un gros félin issu du croisement entre chat sauvage et chat angora. » - Un lieu dans lequel passer le reste de votre vie ?
« Un chalet à l'Écot, en Maurienne, petit village au fin fond de la vallée qui n'est pas raccordé au réseau électrique. » - Si vous ne deviez retenir qu'une qualité chez un humain ?
« L'empathie » - Si un seul de vos rêves pouvait être exaucé ?
« Avoir donné assez confiance à mes enfants pour qu'ils puissent avancer avec sérénité dans la vie. » - Quels sont vos héros dans la vie réelle ?
« Mon grand-père maternel, orphelin, déporté, spolié qui est reparti de zéro et qui est devenu un entrepreneur et un musicien respectés. C'était un esprit libre. » - Quel est pour vous le comble du bonheur ?
« Un dîner simple avec ceux qu'on aime. »