


LE PORTRAIT
DU MOIS

Ce mois-ci, rencontre avec la patronne de CSL Vifor, québécoise d'origine venue s'épanouir sur le vieux Continent, travailleuse acharnée aux dons multiples et au coeur sur la main : elle préside aussi l'association Tulipe, qui collecte et envoie des médicaments aux populations en détresse partout dans le monde. Portrait d'une femme alignée avec ses valeurs et qui souffle un vent de fraîcheur partout où elle passe. « Moi, tout va toujours bien, même quand ça va mal ». Karine Levesque dit ça avec cet accent de la belle Province, irrésistible et chantant, qu'elle n'a pas perdu malgré 20 ans de vie française. Elle détonnerait presque dans ce restaurant parisien où elle irradie, au milieu de « cousins » gaulois qui n'ont pas toujours le même esprit positif.
Il est à la tête d'une nouvelle entité qui va révolutionner la lutte contre le cancer : le PSCC (Paris Saclay Cancer Cluster). Ce surdoué, qui fait partie des grands noms de l'immunologie à l'échelle internationale, a l'habitude de casser les codes et de bousculer les habitudes. De Clamart à Harvard, en passant par Marseille où il a pris racine il y a trente ans, portrait d'un passionné aussi charismatique qu'efficace, qui mène au pas de charge la lutte contre la maladie qui tue 10 millions de personnes chaque année dans le monde.
Il arrive en courant, avec quelques minutes de retard qu'il nous prie de bien vouloir excuser, dans les locaux encore presque vides du PSCC en banlieue parisienne, jette sa valise dans un coin et continue à sillonner la pièce.
Ce mois-ci, rencontre avec Séverine Lemoine, General Manager de Seagen France, un des leaders de la biotech, en cours d'acquisition par Pfizer. Après un parcours sans faute qui a débuté chez Astra Zeneca, Novartis et avant, Roche où elle restera dix ans. Son aire thérapeutique depuis le début de sa carrière : la cancérologie. « Je vois les Pyrénées, il me reste cinq ans ». Lorsqu'elle prononce cette phrase, les yeux de Séverine Lemoine s'illuminent. La jeune et brillante patronne de Seagen France se revoit un instant sur les routes de St Jacques-de-Compostelle, dont elle suit le pèlerinage depuis 2018 pendant 10 jours chaque année. Elle est à mi-chemin, donc, et elle franchira la chaîne montagneuse l'an prochain. Le sac est lourd, « même si on l'allège chaque année pour ne garder que l'essentiel », mais l'esprit est léger. « Je coupe mon téléphone, je retrouve la verticalité, l'ancrage. J'ai besoin de vert pour gérer mon équilibre ».
Rencontrer Francine Leca, c'est être aspiré par un tourbillon d'intelligence et de malice, dont on ressort grandi et le sourire aux lèvres. On l'imaginait frêle octogénaire, docte et forcément sérieuse, elle qui fut la première femme à opérer des enfants à cœur ouvert dans notre pays, et l'on rencontre une héritière d'Hemingway, pimpante et tendrement irrévérencieuse. « Le grand avantage de l'âge, qui n'a que des inconvénients, c'est que la parole est libérée », glisse-t-elle du haut de 84 années de jeunesse et d'enthousiasme, tout en mangeant un tartare accompagné d'une bière dans un restaurant parisien. « L'époque est devenue triste : aujourd'hui, dès qu'on écrase une mouche, on risque un procès. Moi, j'aime la viande et la corrida, comme Hemingway ».
Pour comprendre un patron, il faut parfois chercher dans ses loisirs. Thierry Hulot est piqué depuis toujours de meubles français du 19ème siècle, « mais je n'ai plus assez de place ! » sourit-il. Tandis qu'il lui en reste pour une autre lubie : les bandes dessinées. « Et sans doute l'une des plus marquantes, qui s'appelle « Ces jours qui disparaissent » de Timothé Le Boucher, c'est l'histoire extraordinaire d'un jeune homme qui se réveille un beau matin en pensant qu'on est mercredi et qui réalise qu'on est en fait jeudi. Bref, il a perdu un jour. Mais comment ? » Une énigme qui le fascine. Comme l'on sent que toutes les énigmes, tous les problèmes, provoquent chez lui une irrépressible envie de résolution. La logique doit triompher à la fin.
La scène se passe à Francfort en 1997 et elle résume sans doute le parcours de Christophe Durand. Nous sommes un vendredi matin, 7h, dans la salle d'attente de l'aéroport. Le jeune homme de 26 ans, diplômé en pharmacie deux ans plus tôt, est arrivé la veille dans la ville allemande pour monitorer un essai clinique évaluant un anticorps monoclonal utilisé en transplantation rénale pour son employeur, Pasteur Mérieux - IMTIX, et il parcourt distraitement le journal qu'il vient de déplier. Il faut dire que la veille il a retrouvé un de ses meilleurs amis qui fait son service national affecté en entreprise à Francfort et qu'ils ont décidé de fêter l'admission de Christophe à HEC, où il va reprendre ses études. Cerise sur le gâteau : à cette époque, il y a une boîte de nuit dans un des halls de l'aéroport de Francfort, le Dorian Gray ! Après les essais cliniques du jeudi, la fête donc, puis la salle d'attente au petit matin pour rentrer en France.
Elle a failli annuler notre rendez-vous à la dernière minute. La veille, un entrepreneur livrait du carrelage dans sa résidence bretonne. « Il a déposé les palettes devant la maison et j'ai dû les rentrer toute seule. 740 kilos de carrelage, quand même ! J'ai bien cru que je ratais mon train pour rentrer à Paris ». Clarisse Lhoste raconte cet épisode sans esbroufe et les sept quintaux de dalles ne lui ont laissé aucune courbature. Alors, c'est sans doute le mot nature qui vient immédiatement à l'esprit. Force de la nature, que cette grande femme qui dépasse le mètre quatre-vingts et dont les grands yeux bleus ne sont jamais fuyants. Amour de la nature, pour celle qui se délecte des embruns de sa Bretagne chérie. Et surtout nature tout court, dans son rapport aux autres et dans sa vie de tous les jours. C'est d'ailleurs la qualité qu'elle s'accorde spontanément : « Oui, je suis quelqu'un d'authentique »