
SÉVERINE LEMOINE,
« DE LA BIG PHARMA À LA BIOTECH »

Ce mois-ci, rencontre avec Séverine Lemoine, General Manager de Seagen France, un des leaders de la biotech, en cours d'acquisition par Pfizer. Après un parcours sans faute qui a débuté chez Astra Zeneca, Novartis et avant, Roche où elle restera dix ans. Son aire thérapeutique depuis le début de sa carrière : la cancérologie.
« Je vois les Pyrénées, il me reste cinq ans ». Lorsqu'elle prononce cette phrase, les yeux de Séverine Lemoine s'illuminent. La jeune et brillante patronne de Seagen France se revoit un instant sur les routes de St Jacques-de-Compostelle, dont elle suit le pèlerinage depuis 2018 pendant 10 jours chaque année. Elle est à mi-chemin, donc, et elle franchira la chaîne montagneuse l'an prochain. Le sac est lourd, « même si on l'allège chaque année pour ne garder que l'essentiel », mais l'esprit est léger. « Je coupe mon téléphone, je retrouve la verticalité, l'ancrage. J'ai besoin de vert pour gérer mon équilibre ».


du monde de la Santé sous
notre microscope Portrait du General
Manager de Seagen France
C'est le moment où, dans la chaleur des relations et le silence de la marche, elle oublie l'oncologie, le tumulte de la vie francilienne, les devoirs d'une mère de deux jeunes enfants. C'est l'instant où elle met de côté la compétition et les hiérarchies. « Chacun est égal sur le chemin : on vous demande votre prénom, d'où vous venez et où vous allez, c'est tout ». Alors, reprenons à la manière de St Jacques. D'où vient-elle et où va-t-elle, Séverine ? On la retrouve devant un thé, sur le chemin du travail, en parfaite executive woman. Prolixe et souriante, entre deux rendez-vous, la démarche urbaine mais le coeur dans un coin de nature. D'où vient-elle ?
POUR ALLER PLUS LOIN...
- Si vous étiez un animal ?
« Mon signe astrologique me va bien, je crois. Je suis taureau, ce qui signifie pour moi : ancrage au sol, courage, dignité quand il faut savoir perdre et laisser le plus fort gagner.. » - Un lieu dans lequel passer le reste de votre vie ?
« Je viens d'une famille de pêcheurs et le fil rouge qui nous unit c'est une maison de famille dans le Berry dans la région des « mille étangs », où l'on peut se retrouver régulièrement tous ensemble et en nombre et où les passionnés peuvent pécher et pour moi la pêche, c'est la sérénité. » - Si vous ne deviez retenir qu'une qualité chez un humain ?
« Le courage. » - Quel défaut vous inspire le plus d'indulgence ?
« J'ai eu la chance de rencontrer des personnes qui ne voient jamais le mal, des gens que l'on qualifie donc de naïfs, dans un monde où il faut être armé. Si la naïveté est un défaut, c'est celui-ci qui me vient à l'esprit.. » - Quel rêve voudriez-vous voir exaucé ?
« Que ma famille reste en bonne santé. » - Vos héros dans la vie réelle ?
« Ma grand-mère, qui avait beaucoup de caractère, et ma grande soeur qui est médecin généraliste, et qui exerce son métier en étant entièrement tournée vers les autres. » - Quel est le don de la nature que vous aimeriez avoir ?
« J'aurais voulu être danseuse étoile. » - Quel est pour vous le comble du bonheur ?
« Ne rien avoir dans la tête, avoir l'esprit tranquille. Même si j'avoue ne jamais avoir vraiment réussi ! »
Une enfance scolaire et solaire
Avec les routes de St Jacques, c'est peut-être un bout de son enfance à Provins qu'elle retrouve : « On était proche de Paris, mais j'avais l'impression de vivre à la campagne ». Une jeunesse heureuse, cadette d'une portée de trois soeurs, avec un père assureur et une mère pharmacienne. Elle garde le souvenir d'une enfance où elle se pelotonne dans un coin de l'officine pour faire ses devoirs : « j'ai en mémoire les odeurs, les Solutricine que je chipais et que je mangeais comme des bonbons, et les bâtons de réglisse. Il y avait un côté apothicaire, avec des vieux pots et un préparatoire où on faisait des gélules. Cet endroit était un refuge pour moi ». Naissance d'une vocation ? Pas encore. Même si l'atavisme semble évident, puisque les trois soeurs Lemoine travaillent aujourd'hui dans le monde de la Santé, aucune n'est devenue pharmacienne d'officine. « Je voyais déjà ma maman se heurter à la compétition avec des pharmacies dans des centres commerciaux, alors qu'elle essayait de passer des heures à conseiller les patients. Elle avait un côté social mais les choses n'allaient pas dans le bon sens. Je ne voulais pas de cette dualité ».
Séverine se décrit comme « une enfant sage, scolaire ». Solaire, serait-on tenté d'ajouter, tant elle irradie une forme de calme et d'équilibre. En tout cas, sans crise d'adolescence : « Peut-être est-ce mauvais signe ! » sourit-elle. Elle adore la compétition, ne supporte pas l'échec et atterrit tout naturellement, après le bac, en math sup au lycée Saint-Louis, à Paris. « Le choc », se souvient-elle, « j'étais loin de ma famille, et surtout je me disais tous les jours : je ne sais pas pourquoi je fais ça. Alors, tout s'est joué au mental, je m'étais juré de passer en math spé, et quand ça s'est fait, j'ai tout envoyé balader ». Premier acte de sage rébellion, elle déambule dans les rues, passe devant la fac de pharma et, sans réfléchir ni demander leur avis à ses parents, elle entre et s'inscrit.
La cancérologie, marqueur de sa vie professionnelle
Elle respire enfn. « J'ai adoré ces études. Après la math sup, de toute façon, on pouvait tout me faire faire. J'ai même aimé les champignons et la botanique, les 400 plantes à apprendre par coeur ! » Là encore, la première de classe se retrouve major de promo. Mais en fin de quatrième année, elle troque l'internat contre un double cursus en école de commerce. « Ça a été une déception pour le doyen de la fac : je passais du côté obscur. Je n'allais pas avoir de patients mais des clients ». Peu importe, la voilà à l'Essec, après s'être offert le luxe de refuser HEC, pour un deuxième choc étudiant, positif cette fois. « J'y suis restée un an, qui a compté pour dix. J'ai tout appris sur l'humain. J'ai littéralement explosé en vol, dans le bon sens du terme, avec des gens qui déconstruisaient ma façon de penser. Fini le côté rationnel, thèse et antithèse, j'ai vraiment appris à réfléchir ». Et elle garde de ce temps-là l'essentiel de son cercle d'amis.
Fraîche émoulue de ce cursus sans faute, la voilà dans le grand bain. « Big pharma était l'évidence, à l'époque, mais j'ai tâtonné sur le choix des aires thérapeutiques. Et je suis entrée par hasard, chez Astra Zeneca, en cancéro ». Elle ne quittera jamais ce domaine, où chacun lui reconnait une réelle expertise, vingt ans plus tard.
C'est le début, en tout cas, de l'affirmation d'un caractère qui accompagnera son succès. Elle rentre ensuite chez Novartis « à l'instinct » et découvre le champ du cancer du sein. Elle en fera son combat professionnel. Après 5 ans chez Novartis, elle entre chez Roche, « le Graal en cancérologie ». Et elle va d'abord se retrouver sur le terrain, directrice de la région Ile-de-France, à la tête d'une équipe de délégués médicaux, dont elle apprécie « le côté direct, sensible. Ils ne faisaient pas de politique ». C'est le moment, aussi, où elle se frotte à la « vraie vie ». Les médecins épuisés dans des bureaux minuscules qui enchaînent les gardes et se battent pour les patients. « Ce qui me rendait heureuse, c'était l'impact : vous voyez ce que vous apportez aux malades ». Elle rencontre de jeunes internes passionnés qui sont aujourd'hui de grands professeurs intervenant dans des conférences internationales. Ce temps de terrain lui laissera une marque indélébile lorsqu'elle reviendra au siège, d'abord comme directrice des ventes, avant de prendre la tête de l'oncologie. « J'étais heureuse chez Roche, c'était ma référence ».
Et pourtant, début 2020, un coup de fil va la détourner de cette voie et la guider vers l'inattendu. La biotech. « Je ne connaissais pas du tout. Quand j'ai reçu cet appel de Seagen, il fallait aller à Zurich et je n'avais pas envie de prendre une journée. Mais une amie m'a dit : que perds-tu à aller voir ? » Et elle a bien fait. Séverine découvre, en entretien, un tout autre fonctionnement. « J'ai senti quelque chose, des gens différents, une ambiance différente ». Elle est jeune quadra, l'âge des questions existentielles et des nouveaux défis. Celui-là l'attire particulièrement.
La création de Seagen France : une aventure audacieuse...
Et tout va s'enchaîner très vite. Avril 2020, Seagen l'embauche et elle prend ses fonctions au moment où le Covid va plonger nos sociétés dans le confinement. C'est à distance qu'elle doit donc faire sortir de terre la filiale qu'elle dirige aujourd'hui. « Au niveau des équipes Europe, on m'avait donné beaucoup d'autonomie et on m'avait dit : fais comme tu penses que ça doit être fait. Je me croyais incapable de prendre des risques, et pourtant c'est le contraire qui s'est produit ». La situation réveille l'audace qui dormait en elle, après vingt années de Big pharma. Elle se retrouve donc « en mode start-up » et doit réussir l'impossible : construire une filiale et lancer un nouveau médicament en moins de 8 mois. Elle doit alors affronter une multitude de missions qu'elle expérimente pour la 1ère fois comme la création du siège, la création de l'entité légale, la mise en place de tous les process avec les autorisations réglementaires associées, la création de la politique RH… Autant de choses qu'elle n'a jamais réalisées jusqu'alors et qui demandent, entre autres, de savoir remettre les mains dans « l'opérationnel » : « Quand je repense à cette époque, le mot qui me vient c'est lunaire. Il ne faut pas avoir peur d'aller acheter son imprimante à la FNAC et de gérer des questions qui ne vous intéressent pas, comme le parc automobile ! ».
Mais au-delà de cela, elle découvre l'impact de se retrouver à la tête d'une filiale où elle devient la promotrice d'une « molécule magnifique » dont elle sait qu'elle changera le sort de nombreuses patientes en attente de traitement à ce stade de la maladie.
Les débuts avec les autorités sanitaires tiennent de la douche froide et de l'aventure exaltante à la fois. Elle se retrouve seule à plaider devant les experts de l'ANSM pour avoir l'autorisation de mettre rapidement à disposition des patientes cette nouvelle molécule. Le stress est à son comble mais elle ressort avec 100% des voix et négocie avec la maison mère la possibilité de fournir gracieusement ce médicament à un panel de 200 à 300 patientes. Sur le papier, un boulevard s'ouvre à elle et à ses équipes, « que des gens extraordinaires », tient-elle à préciser. Le process se poursuit et la molécule est reconnue comme une innovation via l'octroi d'une ASMR 3 (Amélioration du Service Médical Rendu) par la Haute Autorité de Santé. Et pourtant la négociation sur les prix sera longue et complexe. Elle a du mal à cacher le sang d'encre que ce souvenir de cette période provoque en elle. L'histoire se termine finalement bien. Seagen France est née et la filiale est durable.
« Si l'innovation disparaît, il y aura surtout une égalité face à l'absence de soins ! »
Quel regard porte-t-elle sur l'état de l'industrie aujourd'hui ? « On le ressent très clairement cette année, quelque chose est en train de se passer. On a toujours été en crise, mais pour que la maison mère me dise : si c'était à refaire je ne reviendrais pas en France, c'est que la crise est sans précédent. ». C'est le seul moment de notre discussion où la gravité prendra le pas sur son habituel optimisme : « On manque de vision sur le long terme, le système est en train d'exploser. C'est la première fois que je suis inquiète ». Elle garde la croyance que le système doit être équitable, et donc éthique. Chaque Français doit pouvoir recevoir les mêmes soins, à rebours du système américain. Mais si l'innovation disparait, il y aura surtout une égalité face à l'absence de soin. C'est sa crainte. « Une des pistes d'avenir en oncologie aujourd'hui, c'est notamment les combinaisons de médicaments, ce qui rajoute des coûts. Quand vous associez deux médicaments onéreux, comment les financer dans un système qui réduit son budget ? » La conséquence à terme ? « Un appauvrissement de la recherche clinique en France, au bénéfice de pays émergents qui n'ont pas les mêmes contraintes réglementaires : Chine, Inde, Amérique du Sud ».
Que fait-elle pour oublier les contingences d'un métier si prenant ? De la course à pied, avec un marathon en préparation pour l'an prochain, et de la danse, avec un spectacle de modern jazz « qui est mon pic annuel de stress ! ». Mais surtout, on y revient, le chemin de St Jacques, son grand moment d'introspection. Elle fait le pèlerinage avec sa meilleure amie, qui a complètement changé de vie suite à cette expérience, pour devenir professeur de yoga. « C'est perturbant de se retrouver seule avec soi-même. On se découvre autrement. Je repense aux moments diffciles de l'année, ça permet de les revisiter et de les relativiser. Ça permet aussi de se poser les bonnes questions : d'où vient la culpabilité d'une mère qui travaille, par exemple ? Comment gérer nos vies de femmes ? » C'est sans doute pour ça qu'elle a créé, avec d'autres, le club des dirigeantes des industries de santé dont elle est la trésorière. L'introspection, chez Séverine Lemoine, ne tarde jamais à se transformer en action.
POUR ALLER PLUS LOIN...
- Si vous étiez un animal ?
« Mon signe astrologique me va bien, je crois. Je suis taureau, ce qui signifie pour moi : ancrage au sol, courage, dignité quand il faut savoir perdre et laisser le plus fort gagner.. » - Un lieu dans lequel passer le reste de votre vie ?
« Je viens d'une famille de pêcheurs et le fil rouge qui nous unit c'est une maison de famille dans le Berry dans la région des « mille étangs », où l'on peut se retrouver régulièrement tous ensemble et en nombre et où les passionnés peuvent pécher et pour moi la pêche, c'est la sérénité. » - Si vous ne deviez retenir qu'une qualité chez un humain ?
« Le courage. » - Quel défaut vous inspire le plus d'indulgence ?
« J'ai eu la chance de rencontrer des personnes qui ne voient jamais le mal, des gens que l'on qualifie donc de naïfs, dans un monde où il faut être armé. Si la naïveté est un défaut, c'est celui-ci qui me vient à l'esprit.. » - Quel rêve voudriez-vous voir exaucé ?
« Que ma famille reste en bonne santé. » - Vos héros dans la vie réelle ?
« Ma grand-mère, qui avait beaucoup de caractère, et ma grande soeur qui est médecin généraliste, et qui exerce son métier en étant entièrement tournée vers les autres. » - Quel est le don de la nature que vous aimeriez avoir ?
« J'aurais voulu être danseuse étoile. » - Quel est pour vous le comble du bonheur ?
« Ne rien avoir dans la tête, avoir l'esprit tranquille. Même si j'avoue ne jamais avoir vraiment réussi ! »