
THIERRY HULOT, « L'HOMME QUI AIME RÉSOUDRE LES PROBLÈMES »

Pour comprendre un patron, il faut parfois chercher dans ses loisirs. Thierry Hulot est piqué depuis toujours de meubles français du 19ème siècle, « mais je n'ai plus assez de place ! », sourit-il. Tandis qu'il lui en reste pour une autre lubie : les bandes dessinées. « Et sans doute l'une des plus marquantes, qui s'appelle « Ces jours qui disparaissent » de Timothé Le Boucher, c'est l'histoire extraordinaire d'un jeune homme qui se réveille un beau matin en pensant qu'on est mercredi et qui réalise qu'on est en fait jeudi. Bref, il a perdu un jour. Mais comment ? » Une énigme qui le fascine. Comme l'on sent que toutes les énigmes, tous les problèmes, provoquent chez lui une irrépressible envie de résolution. La logique doit triompher à la fin.
Et lorsqu'on lui pose une question sur son enfance, on saisit vite les racines de ce caractère. Thierry Hulot sourit. « J'ai eu une enfance familiale, heureuse, au vert en région parisienne.


du monde de la Santé sous
notre microscope
Portrait du Président
de MERCK FRANCE
J'étais l'aîné d'une fratrie de trois, je n'ai pas de souvenir précis de rêve d'enfant » explique-t-il pudiquement, avant d'esquisser un autoportrait bien éloigné du patron meneur d'hommes et président du Leem qu'il est devenu. « J'étais un garçon très analytique, peu aventureux de tempérament. Pendant longtemps, j'ai collectionné les timbres et à l'adolescence j'avais lu tout Balzac ». Diantre ! Pratiquait-il un sport ? « Avec succès, aucun ! », éclate-t-il de rire.
Résoudre des problèmes, plutôt qu'en poser
On le voit, le jeune Thierry Hulot est plutôt du genre à résoudre les problèmes qu'à en poser à ses parents. Les solutions techniques le fascinent et l'idée de la pharmacie s'impose très vite à lui. « Pas la médecine, je ne me voyais pas tripatouiller du sang, mais l'idée de démêler des problèmes complexes, oui ». Avec, en plus, ce qu'il appelle joliment « le service à l'autre ».
Analyser, comprendre, résoudre. Très vite, c'est donc la galénique qui le séduit. Il lui faut une énigme tangible, et les expériences qui vont avec. La formulation des médicaments est un casse-tête à la hauteur de cet esprit « posé et rationnel », et il sait qu'elle permet de sauver des vies. En fac à Paris Descartes, c'est donc sa première inclination. Avant d'apprendre qu'un DESS en pharmacocinétique lui permettrait de décrocher un stage intéressant. Au lieu d'associer les matières entre elles pour créer un médicament, il va donc s'employer à en mesurer l'effet dans l'organisme.
Et le voilà embarqué, à la fin de ses études, dans un service militaire comme il en existe peu : l'appelé Hulot ne portera pas le képi. Il officie dans un laboratoire de l'armée à Vert-le-Petit, près d'Arpajon, pour travailler sur... « la recherche cinétique des antidotes aux gaz de guerre ». La guerre Iran-Irak bat son plein, avec des suspicions d'utilisation de gaz moutarde, et l'armée française alloue des moyens importants à son laboratoire. « C'était une super expérience » s'enthousiasme-t-il avant de raconter avec ferveur le travail minutieux, au moyen de carbone 14, qui a mené à une publication dans une revue scientifique -première consécration- mais surtout à des avancées sur ces antidotes. « Un rat qui a reçu un antidote, même s'il est touché par le gaz moutarde quelques minutes plus tard, reste en vie. »
Du gaz moutarde au Primperan
A l'heure de la quille, Thierry Hulot intègre les laboratoires Delagrange, en région parisienne. Loin des gaz de guerre, le voilà au royaume de la nausée et des fesses rouges, puisque Primperan et Mitosyl sont les produits phares de son premier employeur. Une petite frustration naît alors : « Je ne comprenais pas le langage du marketing ». Thierry Hulot part donc se former avec des cours du soir à l'IAE Paris qu'il complètera par un MBA en Angleterre. Et puis un jour le téléphone sonne : c'est son vieux copain de fac et d'armée, qui l'a recommandé pour un poste de chef de service en pharmacocinétique. « Ça ne m'intéresse pas, c'est une petite entreprise et en plus elle est à Lyon ». Il se rend malgré tout au rendez-vous dans la capitale des Gaules. La première impression est terrible : « le labo était moyenâgeux ». Mais le patron de la R&D insiste. Le voilà donc à Lyon pour un second rendez-vous et, cette fois, la discussion tourne au vinaigre. Pour ne mettre aucune chance de son côté, Thierry Hulot pose des conditions qu'il pense inacceptables. L'affaire est close ? « Dans un sens oui, s'amuse-t-il, puisque j'apprends qu'ils acceptent toutes mes conditions et qu'ils me donnent carte blanche ! ».
C'est donc l'heure de la bascule. Thierry Hulot et sa femme s'installent à Lyon, ils sont jeunes parents, « deux enfants et demi au moment de déménager », et la famille ne quittera plus vraiment la préfecture du Rhône. « Mon père, d'origine bordelaise, s'est moqué gentiment. Il m'a dit : ne t'inquiète pas, je t'enverrai du vin ». Mais l'acclimatation se passe bien et le laboratoire, repris par Merck, est un enjeu passionnant pour le jeune patron de la pharmacocinétique qui va gravir un à un les échelons de l'entreprise.
« Je découvre la complexité de l'entreprise »
Jusqu'à ce jour de janvier 2010 où il bascule dans l'univers des décideurs. Nommé chef de cabinet du président de Merck à Genève, il prend son poste le 2 janvier et on l'informe qu'il doit accueillir les auditeurs qui viennent pour l'analyse des risques. « Le premier risque dont ils me parlent, je n'imaginais pas qu'il puisse exister. Le second, je ne le connaissais même pas. Et ainsi de suite jusqu'au cinquième ! » Ce saut abrupt dans les entrailles de l'industrie lui donne, en tout cas, de l'expérience et de l'audace. « Je découvre que l'entreprise est soumise à des risques. Je découvre en fait la complexité de l'entreprise ». Alors, quand le grand patron de Merck, Stefan Oschmann, lui demande s'il pense que c'est une erreur de ne pas investir dans les biosimilaires, il répond « oui » tout de go. « Tu as raison, je te laisse deux mois pour travailler dessus ». Ne pas investir peut être un risque comme les autres. Et le voilà à la tête de la BU biosimilaires, qui va vite compter une cinquantaine de personnes. Créer une sorte de start-up au sein d'une entreprise : expérience passionnante, dans laquelle il va apprendre qu'une dream team n'existe que dans nos rêves et que l'équipe la plus efficace n'est pas la somme des meilleures individualités. Une fois sa mission accomplie -et réussie-, il part s'installer à Lausanne, « de manière un peu aventurière » sourit-il, pour diriger la production de Merck.
Changement complet d'atmosphère. « Dans la R&D vous vous projetez sur des années, dans le marketing on compte en mois, et si une campagne n'est pas réussie, on passe à la suivante. Dans la production, ce qui est formidable, c'est que vous avez le résultat immédiatement. Avec ses contraintes, aussi, qu'on pourrait résumer ainsi : un mail, une emmerde !» dit-il dans un rare moment de laisser-aller langagier.
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« Les pompiers. Regardez l'intervention à Notre-Dame, pour la première fois ils ont pris la décision d'envoyer des hommes au feu non pas pour sauver des hommes mais pour sauver un bâtiment, avec des risques mortels. Et ils l'ont fait. » - Quel est le don de la nature que vous aimeriez avoir ?
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« Que les gens qu'on aime aillent bien. » - Si vous ne deviez retenir qu'une qualité chez un humain ?
« L'humanisme, dans le sens de l'attention aux autres. »
Merck France, le Leem et... le PLFSS
En 2017, il est nommé à la tête de Merck France. C'était il y a six ans, une éternité quand on songe à tout ce qui s'est passé depuis. « En six ans, on a tout vu. Je suis arrivé au moment où Emmanuel Macron était élu, quelque chose s'est ouvert, une dynamique s'est mise en place ». Puis il y a eu le Covid et la mise en lumière de la place centrale de l'industrie du médicament. Mais il découvre en même temps « la complexité administrative » et la latence, parfois interminable, pour mettre des produits sur le marché. Dans un premier temps, il s'emploie à rendre visible le laboratoire en France. « 4200 salariés, sept sites industriels, nous avions toujours investi en France, il fallait le faire savoir ». Puis, au moment où Frédéric Collet quitte la présidence du Leem, il se lance dans la grande aventure du syndicalisme. Un nouveau défi qui se fait sous une étoile bien différente. « Au moment de la deuxième campagne d'Emmanuel Macron qui a dit vingt fois que nous étions une industrie stratégique. Bref, on se comprend et on va avancer ensemble ». Et rien ne se passe comme prévu. 2022, le PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale) tombe comme un couperet. Le constat que fait cet homme habituellement pondéré, rationnel et calme, est sans appel.
« Que ce soit un drame pour l'industrie du médicament, après tout, ce n'est pas le problème. C'est surtout un drame pour les patients ! » Il pointe du doigt la fameuse clause de sauvegarde, qui fixe un montant maximal de remboursement des médicaments et exige de l'industrie qu'elle prenne en charge l'essentiel du reste. « Comment peut-on être dans un pays où le soin n'est pas basé sur la demande mais sur un budget qu'on a fixé ? ». Le résultat, il le chiffre avec précision : l'État a fixé un budget de 24,6 milliards d'euros pour le médicament, « la demande réelle va être de 28 milliards ». On voit le coût pour le secteur. « Pour une PME, qui doit déjà affronter la hausse des prix et la flambée de l'énergie, cela signifie une marge qui fond. Et au final, ça nuit à l'innovation. Chez Merck, nous avons lancé deux produits innovants récemment, l'inflation et la clause de sauvegarde ont tout englouti ».
Est-ce que ce contexte dégradé le rend pessimiste ? Il sourit : « Vous savez, je connaissais quelqu'un qui disait toujours : Avoir peur de la mort n'est pas une raison pour se suicider. Donc non, il faut continuer à se battre ! ». Et ce, malgré l'apparition des pénuries de médicaments, qui le font enrager. « Je voulais être pharmacien avec une idée simple : quand quelqu'un a besoin d'un médicament, il faut qu'il l'ait. Et aujourd'hui, vous avez des parents qui font cinq pharmacies pour trouver de l'amoxicilline ».
« L'administration voit le médicament comme un problème, pas comme une solution »
Au-delà des pénuries, les difficultés à installer des produits innovants lui semblent une erreur majeure. « Quand vous voyez des anti-cancéreux prometteurs retoqués par la commission de transparence ou des anti cgrp pour traiter les migraines qui ne sont toujours pas chez nous, ça n'est pas normal. Culturellement l'administration voit le médicament comme un problème, et pas comme une solution ». Et de rappeler que les traitements contre l'hépatite C, certes coûteux mais qui ont de grands pouvoirs curatifs en quelques semaines, ont permis de sortir de l'hôpital plus de 150 000 patients. Ce qui représente des économies, au final, pour la collectivité. « Il y a aussi des traitements curatifs pour l'hémophilie qui arrivent. Or, on raisonne en budget annuel et pas en gain sur la longue durée ». Bref, on le sent, la période est dense pour l'homme à la double casquette, patron de labo et président d'un syndicat qui doit négocier avec l'État un changement qu'il juge indispensable : « Le juge de paix, ce sera le PLFSS rectificatif ».
Où trouver des moments de détente, dans ce quotidien chargé ? Il y a la famille, bien sûr. Ses garçons travaillent dans la « data science » et sa fille est « médecin dans un désert médical en Provence ». Mais Thierry Hulot a découvert pendant le confinement une nouvelle passion. « Nous étions enfermés et une coach, qui intervenait en teams, nous a dit : c'est une chance, faites une activité que vous n'auriez jamais faite spontanément. Je me suis levé et... j'ai fait un gâteau ». Depuis, il multiplie les créations pâtissières dès qu'il a quelques heures devant lui. « Évidemment, ça rejoint un peu la galénique de mes débuts. L'art d'associer des matières ». On se doutait bien qu'il y avait dans les tartes et clafoutis d'aujourd'hui une dernière énigme d'enfance à résoudre.
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