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LE PORTRAIT
DU MOIS

CLARISSE LHOSTE, OU LE MARIAGE « DE LA SCIENCE ET DE L'HUMAIN »

Chaque mois un dirigeant du monde de la Santé sous notre microscope Portrait de la Présidente de MSD France
Par Emmanuel OSTIAN (Paris) -
 

CLARISSE LHOSTE, OU LE MARIAGE « DE LA SCIENCE ET DE L'HUMAIN »

Elle a failli annuler notre rendez-vous à la dernière minute. La veille, un entrepreneur livrait du carrelage dans sa résidence bretonne. « Il a déposé les palettes devant la maison et j'ai dû les rentrer toute seule. 740 kilos de carrelage, quand même ! J'ai bien cru que je ratais mon train pour rentrer à Paris ». Clarisse Lhoste raconte cet épisode sans esbroufe et les sept quintaux de dalles ne lui ont laissé aucune courbature. Alors, c'est sans doute le mot nature qui vient immédiatement à l'esprit. Force de la nature, que cette grande femme qui dépasse le mètre quatre-vingts et dont les grands yeux bleus ne sont jamais fuyants. Amour de la nature, pour celle qui se délecte des embruns de sa Bretagne chérie. Et surtout nature tout court, dans son rapport aux autres et dans sa vie de tous les jours. C'est d'ailleurs la qualité qu'elle s'accorde spontanément : « Oui, je suis quelqu'un d'authentique ».

Chaque mois un dirigeant
du monde de la Santé sous
notre microscope

Portrait de la Présidente
de MSD France

Une bonne nature, en résumé. On en oublierait presque qu'elle dirige MSD France, 930 collaborateurs dans l'Hexagone, 5ème filiale d'un groupe qui a réalisé 48,7 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2021, « mais surtout, insiste-t-elle, 25% de ce chiffre d'affaires consacrés à la recherche, c'est plus du double de la moyenne du secteur et ça nous place dans le Top 10 mondial, toutes industries confondues ». La recherche, voilà son mantra. Avancer, faire progresser, agir. Celle qui se décrit comme timide est intarissable lorsqu'il s'agit de mettre en lumière les grandes innovations qui permettent de guérir, bien sûr, mais surtout de guérir le plus grand nombre. Il y a un fond de passionaria derrière l'apparence classique de cette executive woman de 50 ans à la progression linéaire. Et pour mieux le comprendre, il faut peut-être remonter aux sources de l'enfance.

De la Mandchourie communiste au soleil californien

Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents qui partent travailler au bout du monde. « A l'âge de 5 ans, mon père ingénieur nous emmène en République populaire de Chine où nous allons passer trois ans dans une base de vie en Mandchourie. Mao est mort l'année précédente et les Chinois nous observent derrière les barbelés du camp, ils n'ont jamais vu un occidental. J'ai encore les odeurs de la Chine qui me reviennent à l'esprit. C'était un endroit incroyable, où nous vivions en communauté, coupés du monde. Des conditions de vie uniques, mais qui je crois, font que je suis très adaptable ». Et adaptable, il faut l'être car trois ans plus tard, la famille fait le grand écart et se retrouve au gré d'une nouvelle mutation paternelle ? à Los Angeles, en Californie. Choc culturel et fin de la joyeuse vie communautaire. La jeune Clarisse en tire une autre leçon de vie : « Ce ne sont pas une piscine et le soleil qui rendent heureuse ».

Guitariste dans un groupe de folk

Après une vocation ratée en classique (dix ans de flûte à bec au conservatoire), crise de la quarantaine oblige, Clarisse renoue avec la musique, qui devient sa vraie passion en dehors du boulot. Ses employés ne le savent sans doute pas mais madame la présidente de MSD France est guitariste dans un groupe de folk, où elle plaque les accords de « Killing me softly » ou de « One » avec quelques amis amateurs ! « Un rendez-vous hebdo sacré pour me détendre, apprendre et assouvir un rêve d'adolescente », sourit-elle.

Mais revenons à la Clarisse adolescente, justement, et à ses autres rêves d'alors. « À 13 ou 14 ans, j'ai un choc en regardant à la télévision un documentaire sur l'Institut Pasteur. Je comprends immédiatement ce que je veux faire : de la recherche médicale ». L'adolescente écrit au professeur François Jacob, prix Nobel de médecine en 1965 et père de l'ARN, pour lui demander conseil et -ô surprise- le chercheur lui répond par courrier. « J'ai hélas perdu cette lettre mais je m'en souviens parfaitement. Il n'y avait que trois mots griffonnés : médecine, pharmacie, biologie ». Sa mère la convainc de faire pharma, et la voilà lancée dans six années d'études dont elle gardera des amis et une expérience marquante dans un service d'oncologie. Elle se jure alors qu'elle luttera, à sa façon, contre le cancer.

« Je pense que j'aurais été un bon médecin et cela reste un petit regret aujourd'hui. J'ai deux passions : la science et l'humain ». Après la science des années pharma, elle débarque donc à l'ESSEC pour explorer l'humain. Une autre figure va la marquer, son professeur de Ressources humaines, Bruno Legrix de la Salle. « Il entre en cours le premier jour et se dirige sans nous regarder vers le tableau, saisit une craie et écrit : L'entreprise n'a pas de mémoire. Il nous explique alors qu'il faut développer notre employabilité. Toujours apprendre, sortir de sa zone de confort, bouger. Ça a été une leçon », explique-t-elle avec passion. « Ce n'est d'ailleurs pas contradictoire avec le fait de construire sa carrière au sein d'une même entreprise, puisque je suis chez MSD depuis 23 ans ! »

POUR ALLER PLUS LOIN...

 
  • Si vous étiez un animal ?
    « Cette question est abominable (rires). Je suis un être humain avant tout ! »
  • Un lieu dans lequel passer le reste de votre vie ?
    « La Bretagne, un endroit authentique, frais, iodé, piquant et simple »
  • Si vous ne deviez retenir qu'une qualité chez un humain ?
    « L'honnêteté »
  • Quel défaut vous inspire le plus d'indulgence ?
    « La gourmandise »
  • Quels sont vos héros dans la vie réelle ?
    « Ceux qui luttent contre l'injustice : Mandela, Rosa Parks, Martin Luther King »
  • Quel est pour vous le comble du bonheur ?
    « Être en accord avec soi-même »

« Cherche n'importe où, sauf en Amérique du Nord »

Car, fraîchement diplômée de l'ESSEC, Clarisse Lhoste sait déjà à quelle porte elle veut aller toquer : MSD. « Grand labo d'innovation, mais aussi parce qu'ils s'intéressaient aux jeunes, ils s'impliquaient dans le recrutement, j'y ai vu un bon signe sur l'importance du développement ». Et depuis ce jour, elle n'a pas été déçue. Analyste, déléguée médicale (« un boulot idéal pour soigner ma timidité »), elle gravit tous les échelons et rêve au bout de quelques années d'expatriation. Son mari, également très motivé pour travailler à l'étranger, pose une condition : « n'importe où, sauf en Amérique du Nord, on n'a pas de bureau là-bas ». Elle sourit en y repensant : « devinez quoi, on m'a proposé le Canada ». Et son mari a pu y être muté et ouvrir une filiale ! Le couple et les trois enfants s'envolent pour Montréal, où elle dirigera pendant plus de quatre ans le Primary Care et les vaccins. En 2016, ils retrouvent le vieux Continent, à Bruxelles, où Clarisse Lhoste prend en main la filiale belge, dernière marche avant un retour vers Paris où elle est nommée présidente de MSD France en 2019.

« Le cancer casse des vies, et il casse des vies jeunes »

La voilà donc à la tête de cette entreprise qui l'a vu grandir, plus décidée que jamais à poursuivre ses combats. « D'abord, l'oncologie, ce domaine qui nous touche tous. Le cancer casse des vies, et il casse des vies jeunes ». Le ton devient vibrant et l'indignation le dispute à l'espoir porté par la science : « MSD est pionnier dans l'immunothérapie. Avant l'immunothérapie, les chances de survie à 5 ans dans le cancer du poumon métastatique étaient de 5%, on est à 30% aujourd'hui. C'est un progrès considérable ! On doit continuer la recherche pour aller encore plus loin. ».

Autre combat : la vaccination, et notamment contre les cancers causés par les papillomavirus, et pas seulement le col de l'utérus, précise-t-elle. Ce sont au total 6000 nouveaux cancers par an. A cet instant, elle s'anime encore plus : « C'est un pur scandale, ces vies détruites alors que cela pourrait être facilement évité par la vaccination. Vous lisez des récits sur Instagram de jeunes femmes atteintes de lésions pré-cancéreuses, qui s'étonnent de n'avoir jamais su qu'un vaccin existait ». Et elle enrage encore plus des inégalités dans la vaccination sur le territoire : « 34% sur l'ensemble de la France, mais moitié moins dans certains départements comme la Seine-Saint-Denis ». Encore une fois, cette passion pour l'égalité sanitaire dans la société.

D'ailleurs - car la lumière de son optimisme naturel revient vite disperser les ombres- elle se réjouit de l'impact social de son groupe, notamment grâce à leur antiparasitaire, l'Ivermectine, sur l'onchocercose, cette « cécité des rivières » en Afrique provoquée par des petits vers qui remontent sous la peau : « Certains villages avaient été obligés de déserter les berges des rivières, pour s'éloigner des parasites, avec toutes les conséquences négatives que ça peut avoir. Grâce au traitement, ils peuvent revenir ». C'est ce qui l'a poussée à s'investir aussi dans « MSD for Mothers », qui lutte contre les décès en couches : « c'est abominable de perdre la vie en la donnant. Mais là aussi, nous avons les moyens de réussir ».

« Il y a un énorme déficit de culture scientifique dans notre pays »

Voilà pour ces combats qui laissent transparaître sa foi pour la recherche et son goût pour l'autre. « La science et l'humain », à nouveau. Mais questionnons la patronne, à présent. Comment voit-elle l'avenir de l'industrie pharmaceutique en France, et de MSD en particulier ? Elle se rembrunit. « Le laboratoire se porte bien mais les années qui viennent vont être compliquées ». Le dernier PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale) est « un cauchemar ». « Il annihile toute croissance et met en difficulté les labos ». Le fonds de dotation qui a permis à MSD d'investir 117 millions d'euros en France n'aura-t-il pas de suite ? Toujours aussi directe, elle répond : « franchement, il devient de plus en plus difficile aujourd'hui de défendre des investissements en France auprès de nos maisons-mères ». On la sent inquiète du manque de vision des responsables politiques en matière de politique industrielle ou de santé publique, « Les ambitions annoncées sont trop rarement suivies d'actes concrets et les orientations changent au gré des circonstances. Par ailleurs, la France souffre d'un énorme déficit de culture scientifique », même si elle salue l'implication de certains ministres médecins pour certains sujets de santé publique, comme la vaccination, y compris François Braun aujourd'hui. Et puis, comme toujours, son naturel optimiste revient au galop : la période covid a été « un vrai revirement » qui a permis de donner envie aux médias de parler Santé publique et de rétablir les faits contre les fake news. « A nous d'occuper l'espace. Dans notre pays, il y a 20% d'irréductibles anti-science, 20% de convaincus, il faut aller chercher les 60% restants et faire de la pédagogie », explique celle qui n'hésite pas, avec le Leem, à présenter une émission en ligne baptisée « Rien à cacher », pour balayer les fausses informations qui gangrènent le secteur de la Santé.

Et son avenir à elle ? Clarisse Lhoste commence par une réponse attendue : « J'ai envie de continuer dans mon job, bien sûr. J'ai un immense plaisir à travailler tous les jours avec mes équipes sur les combats que nous portons, c'est passionnant. En tant que patron de filiale, on est au croisement de tous les enjeux et l'impact de nos décisions est important. Si je peux contribuer, je continuerai ». Mais si la vie devait la mener ailleurs ? « Alors, je me verrais bien diriger un hôpital ou une maison de retraite », sourit-elle. On s'en serait douté, d'ailleurs, tant ces institutions sont à la charnière de la science et de l'humain.

POUR ALLER PLUS LOIN...

 
  • Si vous étiez un animal ?
    « Cette question est abominable (rires). Je suis un être humain avant tout ! »
  • Un lieu dans lequel passer le reste de votre vie ?
    « La Bretagne, un endroit authentique, frais, iodé, piquant et simple »
  • Si vous ne deviez retenir qu'une qualité chez un humain ?
    « L'honnêteté »
  • Quel défaut vous inspire le plus d'indulgence ?
    « La gourmandise »
  • Quels sont vos héros dans la vie réelle ?
    « Ceux qui luttent contre l'injustice : Mandela, Rosa Parks, Martin Luther King »
  • Quel est pour vous le comble du bonheur ?
    « Être en accord avec soi-même »
Par Emmanuel OSTIAN (Paris)