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LE PORTRAIT
DU MOIS

 

ÉRIC VIVIER, « L'IMMUNOLOGISTE QUI BÂTIT DES PONTS »

 
Chaque mois un dirigeant du monde de la Santé sous notre microscope Portrait du Président de Paris Saclay Cancer Cluster
Chaque mois un dirigeant
du monde de la Santé sous
notre microscope
Portrait du Président de
Paris Saclay Cancer Cluster
Par Emmanuel OSTIAN (Paris) -
 

ÉRIC VIVIER*,**,
« L'IMMUNOLOGISTE QUI BÂTIT DES PONTS »

Il est à la tête d'une nouvelle entité qui va révolutionner la lutte contre le cancer : le PSCC (Paris Saclay Cancer Cluster). Ce surdoué, qui fait partie des grands noms de l'immunologie à l'échelle internationale, a l'habitude de casser les codes et de bousculer les habitudes. De Clamart à Harvard, en passant par Marseille où il a pris racine il y a trente ans, portrait d'un passionné aussi charismatique qu'efficace, qui mène au pas de charge la lutte contre la maladie qui tue 10 millions de personnes chaque année dans le monde.

Il arrive en courant, avec quelques minutes de retard qu'il nous prie de bien vouloir excuser, dans les locaux encore presque vides du PSCC en banlieue parisienne, jette sa valise dans un coin et continue à sillonner la pièce. Éric Vivier débarque de Marseille, doit accueillir dans un instant une délégation asiatique avant de donner un cours à Polytechnique, file chercher un café, se félicite en s'asseyant de figurer pour la neuvième année consécutive dans le classement des chercheurs les plus cités dans le monde, vous demande si vous allez bien en vous dévisageant de ses yeux perçants qui illuminent un visage fin et sec de sportif. L'homme est une boule de passion, un tourbillon qui ne nous laissera pas souffler pendant une heure et demie. Commence alors une belle leçon d'intelligence et de vie. Retour au milieu des années 60 à Clamart, alors que cette banlieue est encore populaire, le jeune Éric se souvient d'une enfance heureuse, et du rêve vibrant de progresser : « J'ai connu l'ascenseur social réel, je ne suis pas né dans le 5ème arrondissement de Paris et je garde donc une fierté d'avoir eu ce parcours ». Qui va d'abord le mener à quitter son modeste lycée clamartois pour intégrer le prestigieux établissement St Louis, à Paris.

POUR ALLER PLUS LOIN...

 
  • Si vous étiez un animal ?
    « Un dauphin ! C'est un animal magnifique et j'aime la mer. »
  • Un lieu dans lequel passer le reste de votre vie ?
    « Je crois que j'aimerais finir ma vie comme galeriste à Venise, même si je n'en prends pas vraiment le chemin ! »
  • Si vous ne deviez retenir qu'une qualité chez un humain ?
    « La bienveillance. »
  • Quel rêve voudriez-vous voir exaucé ?
    « Que ma femme et mes enfants soient heureux ! »
  • Vos héros dans la vie réelle ?
    « Marie Curie. C'est dur d'être une femme dans le monde de la science, mais elle a eu deux prix Nobel et, cerise sur le gâteau, elle a eu le courage de partir sur le champ de bataille pendant la Première Guerre mondiale pour faire des radios des blessés. »
  • Quel est le don de la nature que vous aimeriez avoir ?
    « J'aurais voulu être un artiste (sourire). Mais je suis sûr de ne pas l'être ! »
  • Quel est pour vous le comble du bonheur ?
    « L'amour. »

« Il n'y a pas de bonne réponse à une mauvaise question »

Puis le bon élève entre à l'école vétérinaire de Maisons-Alfort. « J'étais passionné par l'approche physiologique mais j'ai vite été déçu : en véto, il n'y avait pas assez de recherche ». Car l'étudiant d'alors est déjà un chercheur dans l'âme, qui s'affranchit des barrières entre disciplines. On sent que rien ne le passionne davantage que d'interroger les mystères de la vie pour trouver une solution que personne n'avait envisagée jusque-là. « En science le plus important c'est la beauté de la question. Il n'y a pas de bonne réponse à une mauvaise question. Et il n'y a aucune découverte qui soit liée au hasard. Ce qu'on appelle la sérendipité, c'est du génie ! Prenez Fleming, c'était un homme peu soigneux. Un jour, il fait une culture de bactéries, elle se contamine par des champignons, tout le monde l'aurait jetée à la poubelle. Pas lui ! Parce qu'il pose la bonne question : il voit qu'à chaque fois qu'il y a des champignons, il n'y a pas de bactérie et il se demande donc pourquoi. Il émet l'hypothèse que les champignons sécrètent quelque chose qui tue les bactéries, et il découvre les antibiotiques. C'est tout sauf du hasard. » Tout apprenti vétérinaire qu'il est, il se lance donc dans « une thèse sur la réponse immunitaire chez l'homme par des lipides inflammatoires », déjà un croisement de disciplines qui lui permet de décrocher une prestigieuse bourse et de s'envoler pour Harvard en post-doctorat. « Et ça a tout changé dans ma vie. J'ai arrêté la véto et j'ai fait une thèse de sciences sur l'immunologie ». La recherche le fascine, l'environnement américain le stimule et pourtant, des collègues français du centre d'immunologie de Marseille lui proposent de les rejoindre. Et le voilà débarquant dans cette ville inconnue. Trente ans et quatre enfants plus tard, il y vit toujours.

« On crée beaucoup trop de murs et pas assez de ponts ! »

C'est là qu'il va avoir l'idée de fédérer les bonnes volontés qui travaillent sur un même sujet. Les chercheurs, bien sûr, mais aussi les industriels, les étudiants. Créer une sorte de bouillon de culture qui puisse devenir un écosystème vertueux. « Vous connaissez Kendall Square ? C'est une histoire géniale. Il y a quelques années, à Boston, la Nasa replie toutes ses activités sur la Floride et laisse une friche industrielle entre Harvard et le MIT. Immédiatement, des entreprises viennent s'y installer, et tout ce petit monde va se mettre à travailler ensemble pour devenir ‘the most innovative square mile on earth' comme il est écrit dans la station de métro de Kendall Square ». Ça ressemble bigrement à ce qu'Éric Vivier ambitionne de faire avec le Paris Saclay Cancer Cluster. « Mais c'est aussi ce qu'on a fait en créant Marseille Immuno-Pôle. On crée beaucoup trop de murs et pas assez de ponts ».

D'ailleurs, ce touche-à-tout de haut vol a également co-fondé une société de biotechnologie, Innate Pharma, tout en poursuivant son magistère de Professeur des universités-praticien hospitalier. Le mélange des activités est-il évident ? Il s'enflamme en faisant ce constat porté par sa culture américaine : « Quand un chercheur académique a une envie industrielle c'est généralement compliqué en France. Aux US, c'est l'inverse. Pour avoir son badge au MIT en tant que chercheur il faut justifier d'une journée par semaine dans l'industrie ! C'est tout le contraire en France, où vous devez passer sous les fourches caudines pour obtenir une journée dans l'industrie ».

Casser les codes, créer des ponts, voilà ce qui l'anime. Car il sait tout l'enjeu du temps long et toute la complexité d'une recherche qui pourra, un jour, livrer ses fruits. « On joue à un jeu dont la règle est l'échec. Moins de 10% des candidats médicaments vont passer en phase clinique. Imaginez : vous jouez au tennis et 9 services sur 10 finissent dans le filet. Il faut un gros mental ».

Alors son objectif au PSCC est limpide : simplifier la tâche de tous les acteurs, libérer les énergies et raccourcir ce fameux temps long. « Il faut 20 ans et 1,5 milliard d'euros d'investissement pour transformer des idées en produits industriels ». Le PSCC fournira les clefs aux projets qui en valent la peine, en transformant un quartier en friche au pied de l'hôpital Gustave-Roussy en un bio cluster de 100 000 m2 : « On va créer une ville nouvelle contre le cancer. On a déjà sélectionné une trentaine de projets et on va leur permettre d'accéder à des ressources multiples pour accélérer la réussite de leur projet : trouver des cadres dirigeants, se former à l'intelligence artificielle, au machine learning, trouver un industriel, se former, collaborer avec les meilleurs experts, disposer de plateformes technologiques, d'échantillons, etc. Au travers de l'écosystème du PSCC, on a une offre complète pour accélérer les processus et le développement des projets industriels. Je rappelle qu'en France, les chercheurs passent 70% de leur temps non pas à chercher, mais à chercher de l'argent. Il faut les aider ».

« Les découvertes de rupture sont toujours venues d'une curiosité, pas d'une nécessité »

Le PSCC, doté d'un budget de 100 millions d'euros de l'Etat, dans le cadre de France 2030, a une lettre de cadrage claire des autorités pour construire cette « ville nouvelle » : être au service des patients et contribuer à la souveraineté française. Le PSCC n'aura pas de direction scientifique, il est là pour accompagner les bonnes idées, pas pour imposer une politique. « Les découvertes de rupture sont toujours venues d'une curiosité et pas d'une nécessité. On n'a pas inventé le laser en voulant améliorer la bougie mais parce qu'il y avait une fascination pour la lumière. Et bien nous ce sera pareil : il faut nourrir la curiosité. Si on vous propose deux programmes, l'un sur le traitement de la leucémie de l'enfant et l'autre sur l'étude du cycle cellulaire dans les larves d'invertébrés, politiquement vous allez choisir la leucémie. Et pourtant ! Les plus grandes découvertes de la cancérologie sont venues de chercheurs qui travaillaient sur le cycle cellulaire des larves d'invertébrés. Vous voyez ? »

On voit très bien, oui. Et d'ailleurs, il suffit de voir la spécialité qu'il a choisie, l'immuno-oncologie, pour comprendre qu'il se méfie des évidences. « Pendant 100 ans, on s'est focalisé sur le cancer lui-même. Le chirurgien enlève le cancer, le radio thérapeute le brûle et tue les cellules cancéreuses. La cible est la tumeur. Nous, notre cible n'est pasla tumeur : c'est le système immunitaire. Nos médicaments vont cibler ce système pour qu'il soit plus efficace et c'est une révolution : il y a des cancers qui étaient réputés incurables dont on arrive désormais à contrôler la progression. »

« Un boeuf » avec un prix Nobel

La leçon de vie est sur le point de s'achever. A-t-il, dans cet océan d'activités, le temps pour autre chose ? Cet hyperactif hausse les épaules. Et comment, oui ! D'abord, il a quatre enfants, dont on ne s'étonnera pas qu'ils soient brillants : l'un à Centrale faisant une thèse sur les passoires thermiques, l'autre à Normale-Sup en géoscience, une troisième dans le milieu du cinéma, et la petite dernière au collège ! Et puis, il y a sa femme. A cet instant, l'émotion le saisit et les larmes lui montent aux yeux. « Ma femme est géniale. Elle est directrice de recherche à l'INSERM et elle vient de faire une très grande découverte dans le domaine de la neuro-immunologie. Est-ce que le système immunitaire peut être régulé par le système nerveux ? Pendant des années, la neuro-immunologie pensait l'inverse. Et sa réponse à elle marche très bien ». Sophie Ugolini, son épouse donc, travaille sur ce qu'on appelle les « neurones des caresses » et elle a montré que ces neurones pouvaient jouer sur le système immunitaire.

Le couple aime la montagne - pour leur voyage de noces, ils se sont offert un pic de l'Himalaya - mais aussi le vélo dans les calanques de Cassis, dont Éric est citoyen d'honneur. Mais ce n'est pas tout : il taquine également la basse. « Je suis piètre bassiste, mais j'adore le rock. J'ai joué dans trois groupes et là, nous préparons avec mes collègues musiciens le congrès mondial d'immunologie. Ce sont les JO de notre discipline, tous les 4 ans. Et j'aurai le plaisir de faire un boeuf avec quelques collègues, dont Jim Allison, harmoniciste, qui a eu le prix Nobel grâce à ses travaux en immuno-oncologie. »

En attendant que le PSCC soit pleinement lancé et prenne ses quartiers à Villejuif, le tourbillon poursuit sa route. La « ville nouvelle contre le cancer » aura un maire d'exception, il n'est pas permis d'en douter.

POUR ALLER PLUS LOIN...

 
  • Si vous étiez un animal ?
    « Un dauphin ! C'est un animal magnifique et j'aime la mer. »
  • Un lieu dans lequel passer le reste de votre vie ?
    « Je crois que j'aimerais finir ma vie comme galeriste à Venise, même si je n'en prends pas vraiment le chemin ! »
  • Si vous ne deviez retenir qu'une qualité chez un humain ?
    « La bienveillance. »
  • Quel rêve voudriez-vous voir exaucé ?
    « Que ma femme et mes enfants soient heureux ! »
  • Vos héros dans la vie réelle ?
    « Marie Curie. C'est dur d'être une femme dans le monde de la science, mais elle a eu deux prix Nobel et, cerise sur le gâteau, elle a eu le courage de partir sur le champ de bataille pendant la première guerre mondiale pour faire des radios des blessés. »
  • Quel est le don de la nature que vous aimeriez avoir ?
    « J'aurais voulu être un artiste (sourire). Mais je suis sûr de ne pas l'être ! »
  • Quel est pour vous le comble du bonheur ?
    « L'amour. »
Par Emmanuel OSTIAN pour Santor Edition
*Professeur d'Immunologie,
- Hôpital de la Timone, Marseille Immunopole (Assistance Publique Hôpitaux de Marseille),
- Centre d'Immunologie de Marseille Luminy, (Aix Marseille Université - INSERM - CNRS)
**Directeur Science
Innate Pharma, Marseille, France